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L'actu vue par Laurent DECLOITRE

L'actu vue par Laurent DECLOITRE

Les articles de Laurent Decloitre (journaliste et biographe) sur la Réunion et l'océan Indien parus dans Libération, Marianne, Paris Match, l'Express, Géo et la presse nationale.

Publié le par Laurent DECLOITRE
Publié dans : #Articles parus dans l'Express

L'Express du 3 au 9 septembre 2014
De notre correspondant Laurent DECLOITRE

Photos : Pierre MARCHAL


Nassimah Dindar, la présidente du conseil général de la Réunion, s’est construite contre son père musulman, contre ses « amis » de la droite, contre le cancer aussi. La militante féministe se prépare activement aux échéances de 2015.

 

DINDAR-Nassimah-0503.jpgQui est vraiment Nassimah Dindar ? Une femme émouvante, « éprouvée mais épargnée », qui a les larmes aux yeux lorsqu’elle évoque son adolescence brimée dans le carcan de l’islam paternel ? Qui « chiale dans les bras de Paul Vergès » lorsque le vieux briscard communiste la prévient en 2008 que ses amis de droite vont la lâcher ? Ou une élue opportuniste qui change de mari comme de directeur de cabinet, et gouverne tantôt avec la droite, le centre ou la gauche ?

Sans doute un peu de tout cela, porté avec des accents de sincérité et une spontanéité qui la rendent attachante : Nassimah Dindar est à la tête du conseil général depuis 2004, un record de longévité. Pourtant, c’est par hasard que l’ancienne professeur de français et d’histoire en devient présidente ; à l’époque, les deux ténors de la droite, Jean-Paul Virapoullé et André Thien Ah Koon, ne parviennent pas à se mettre d’accord sur un candidat. Nassimah Dindar, vice-présidente à l’action sociale, jugée peu dangereuse, devrait convenir le temps d’un demi-mandat…

En 2008, les caciques de la droite s’entendent, cette fois, pour placer un des leurs, le discret Jean-Louis Lagourgue, maire de Sainte-Marie. « Vous voulez en cocufier une de plus ! », se souvient leur avoir reproché, en pleurs, celle qui présida l’Association des femmes actuelles de La Réunion. « Je peux comprendre qu’elle se soit sentie trahie », admet Stéphane Fouassin, maire de Salazie, l’un des conseillers généraux comploteurs, qui se retrouve du coup dans l’opposition tout en appartenant au même parti que Nassimah Dindar, l’UDI-Réunion. Et de reconnaître : « Avec le recul, notre stratégie n’a pas été la meilleure. On aurait gardé Nassimah, on aurait encore la majorité ! »

Car l’ancienne secrétaire départementale adjointe du RPR se retourne alors vers la gauche. Elle conclut un accord avec les communistes, les socialistes et ses partisans du centre droit. Grâce à cette majorité « zambrocal », elle reste à la tête de l’exécutif. En contrepartie, la gauche s’octroie les vice-présidences, puis, trois ans plus tard, lui impose comme « dircab » l’ancienne chef de cabinet de Paul Vergès à la Région. « Je suis profondément déçue par Nassimah, devenue un petit oiseau de toutes les couleurs, déplore une élue qui avait applaudi à son élection en 2004. Au lieu d’être une référence, elle nourrit le sentiment général de “tous pourris”. »

DINDAR-Nassimah-0666.jpgL’intéressée, aussi élégante que pugnace, se défend de retourner sa veste. « Je n’ai pas un tempérament à être le pantin de quiconque. Je n’ai pas trahi mes convictions politiques, j’ai toujours été au centre droit. » Les faits ? Elle commence sa carrière politique en 1991 en tant que militante à l’Union centriste et libérale, où elle rencontre Ibrahim Dindar, qui deviendra son troisième mari en 2001, puis son directeur de cabinet malgré leur divorce en 2005. Elle adhère ensuite au RPR, puis à l’UMP, et enfin à l’UDI après un flirt avec le MoDem. Lors des dernières municipales de Saint-Denis, Nassimah Dindar soutient le candidat UMP René-Paul Victoria, alors même qu’elle a signé un accord avec Michel Lagourgue, encarté à l’UDI, son propre parti… (voir page 5)

Ce côté volage se retrouve au cabinet de la présidente du conseil général. Les équipes valsent à une telle vitesse qu’on ne peut que s’interroger sur le tempérament de la patronne. « Elle revient souvent sur ses arbitrages, c’est fatigant », souffle un des membres. « Elle est assez versatile », ajoute un autre. Samia Badat, qui a exercé durant quatre ans comme chef puis directrice de cabinet, un record, reconnaît qu’il est « compliqué » de travailler avec Nassimah Dindar. « Elle donne son numéro de téléphone portable à tout le monde, court-circuite le cabinet pour venir en aide aux administrés qui l’interpellent », analyse celle qui est aujourd’hui adjointe au maire du XVIe arrondissement de Paris. Un ancien collaborateur de cabinet est encore plus sévère : « Elle a instauré un système qui crée la rotation : elle recrute des hommes de main qui n’ont aucun sens de l’intérêt général. Ils ne travaillent que pour sa réélection. »

Ces commentaires illustrent en tout état de cause une « faiblesse » que reconnaît elle-même Nassimah Dindar : elle n’a pas « su ou pu constituer une équipe stable sur la durée ». Si la menue quinquagénaire, opérée d’un cancer du sein en 2002, est « une dame seule entourée de courtisans », dixit un des ses proches, ce serait parce qu’ « elle ne vient pas du sérail ». Mais l’adepte du yoga, qui procède tous les matins à la salutation au soleil, transforme ce manque en argument auprès des électeurs. « Avant elle, le conseil général était une assemblée de maires qui ne pensaient qu’à leur commune ; aujourd’hui, la collectivité vient en aide directement aux administrés », avance Rémi Labedan, issu du cénacle communiste et chargé de la communication politique de la présidente. Nassimah Dindar prolonge, un brin populiste : « Les partis ne servent qu’à asseoir le pouvoir, à constituer des réseaux et à bénéficier d’aides financières », balance-t‑elle. Et de conclure : « Tout le monde sait que le système est pourri à droite et à gauche. »

photos-blog-5088.jpgElle-même tente de garder une image de femme intègre, malgré une mise en examen en décembre dernier pour « discrimination à l’embauche ». Il lui est reproché d’avoir, entre 2008 et 2009, validé le recrutement de sympathisants dans un foyer départemental de l’enfance du Tampon. « Je ne connais même pas les personnes concernées, il y a plus de 5 000 agents au conseil général », rétorque l’intéressée.

Nassimah Dindar a encore subi, indirectement, les foudres de la justice, lorsqu’un de ses collaborateurs a détourné 300 000 euros destinés à des associations financées par le conseil général. Son propre fils, Abdul Hack, a été condamné à deux mois de prison avec sursis, suite à une altercation avec la brigade anti-criminalité, près de la mosquée de Saint-Denis en août 2010. « Une peine disproportionnée », plaide la mère, qui accuse les forces de l’ordre d’avoir « tabassé » son fils.

Des incidents, pas des casseroles : l’élue, qui a échoué à deux reprises aux législatives, n’offre aucune prise à l’adversité. Stéphane Fouassin, qui représente le semblant d’opposition du conseil général, dénonce tout juste un « saupoudrage social » et « un manque d’investissement ». Il sait très bien qu’une recomposition politique est possible à l’approche des échéances de 2015. Nassimah Dindar va se présenter aux élections départementales dans le deuxième canton de Saint-Denis. Elle devra former un binôme avec un homme, selon le principe de parité. Qui aura la chance de concourir avec la favorite ? Ibrahim Dindar y réfléchit déjà : « Le choix se fera entre un élu déjà implanté ou un outsider plus jeune. »

Le même jour de novembre auront lieu les régionales. La présidente du conseil général annonce qu’elle sera également présente sur une liste, sans plus de précision sur sa place, en pole position ou non. Quelle collectivité choisirait-elle en cas de victoire ? « Si on est élu pour gérer les six dernières années des conseils généraux, je crois être mieux placée que beaucoup d’autres », indique-t-elle dans un premier temps. Mais « est-ce intéressant d’être la présidente d’une collectivité qui n’aura plus les moyens de sa politique », nuance celle qui en a assez d’être « une banque distribuant des prestations » et rêve d’un développement endogène (voir page 8). Effectivement, les compétences du département (collèges, routes, transports, voire prestations sociales) devraient être transférées à la région et aux intercommunalités, comme le préfigure la réforme territoriale engagée par le gouvernement. Dans cette optique, Nassimah Dindar travaille à la constitution d’un « grand centre » qui pourrait prendre le conseil régional à l’UMP Didier Robert. « Elle ne crée pas d’inimitié politique, elle a un physique agréable et est musulmane », énumère un conseiller, en mettant sur un même plan ses supposées qualités. En attendant, l’élue, qui claque la bise à tout va avec une réelle empathie, s’appuie sur une communication à 360 degrés. Ses services épluchent la presse pour écrire une lettre de félicitation à tout Réunionnais méritant qui a fait l’objet d’un article. Pierre-Henri Aho, ancien attaché parlementaire d’un sénateur québécois, est chargé du pôle citoyen : il répond aux innombrables sollicitations de façon personnalisée. Enfin, Nassimah Dindar vient de lancer sa propre télé, 974TV, qui met en avant les réalisations du département… et de sa présidente.

Laurent Decloitre

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