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L'actu vue par Laurent DECLOITRE

L'actu vue par Laurent DECLOITRE

Les articles de Laurent Decloitre (journaliste et biographe) sur la Réunion et l'océan Indien parus dans Libération, Marianne, Paris Match, l'Express, Géo et la presse nationale.

Publié le par Laurent DECLOITRE
Publié dans : #Articles parus dans l'Express

Huguette Bello, députée-maire de Saint-Paul, a bâti sa carrière avec le Parti communiste et l’Union des femmes réunionnaises. S’estimant trahie par le premier, elle s’est appuyée sur la seconde pour « tuer le père », Paul Vergès. Et s’impose comme l’une des personnalités les plus en vue du paysage politique réunionnais. Itinéraire.

 

BELLO-Huguette-086.jpgHuguette Bello n’est pas une femme. « Elle vit et respire politique, c’est sa connexion avec la vie », confie Emmanuel Séraphin, adjoint à l’aménagement et aux finances de Saint-Paul. Non, Huguette Bello est, avant tout, une femme politique. Et l’assume.

Des doutes, des failles ? La députée-maire de l’une des plus vastes communes de France (103 500 habitants) les cache derrière l’étendard de la colère. « On me dit ni gaie ni souriante. Devant les médias, je n’ai pas envie, les sujets auxquels je suis confrontée dans ma vie d’élue sont trop graves », admet la sexagénaire, élégante dans son tailleur jaune. Avant de relativiser, pieds nus à la fin de l’entretien : « Mais en privé, je casse la blague. » Peu importe en fait, la « perpétuelle indignée » refuse d’assouplir son image de « famn batay » inflexible.

Les Réunionnais lui donnent raison. Depuis 2011, elle truste la première place au baromètre Ipsos/Journal de l’île : 67% d’opinions favorables, propulsée « personnalité de l’année » par la rédaction du quotidien. Les électeurs apprécient sa ligne de conduite sans concession. Ancien préfet, recteur, président d’université, nombreux sont ceux à avoir fait les frais de son franc parler dont la véhémence – parfois exagéré mais asséné avec une sévère dignité – fait mouche :   lors des législatives de juin 2012, Huguette Bello est réélue député de la deuxième circonscription, dès le premier tour avec 67,1% des voix. Un plébiscite pour l’ancienne membre du Parti communiste réunionnais.

« Je t’ai aimé »

Pourtant, lorsque la « Dame de fer » apprit que le PCR présentait contre elle un de ses vieux camarades, Jean-Yves Langenier, maire du Port, « elle a pleuré », livre un de ses proches. « Psychologiquement, on ne sort pas indemne de cette lutte fratricide », confesse l’intéressée. Même émotion lors d’un conseil municipal, où la maire évoque sa plainte contre Témoignages, le journal du PCR, qui a publié un brulot la comparant aux « collaborateurs des nazis » sous l’Occupation. Dans ces moments, elle sait trouver un appui sans faille auprès de Roland Malet, son second mari, un ancien journaliste passé par Les Échos et RFO. De treize ans son aîné, il s’est souvent occupé des deux enfants lorsque l’épouse battait campagne. « Il me conseille, son avis et sa considération comptent beaucoup », confesse Huguette Bello.

Depuis les législatives, la combattante a repris le dessus. Le 31 août, lors du repas du personnel du Territoire de la côte ouest (TCO), la communauté de communes dont dépend Saint-Paul, elle lance à son adversaire malheureux : « Jean-Yves, je t’ai aimé, je ne sais plus si je t’aime. »

Violence intrafamiliale ?

BELLO-Huguette-116.jpgUne femme politique, oui, à la susceptibilité exacerbée, qui associe les valeurs de la gauche - « plus à gauche qu’Hollande », souffle-t-elle - à la cause féministe. Un amalgame savamment entretenu par son influente directrice de cabinet. « Aux législatives, le PCR a voulu présenter contre elle deux hommes, pour la jeter hors de sa circonscription comme les maris violents jettent leur femme hors de la case », analyse Graziella Leveneur, qui va jusqu’à comparer le dernier scrutin à de la« violence intrafamiliale ». Et de rappeler cet épidode : en 2004, si sa patronne avait accepté la trop lointaine quatrième place sur la liste du PCR aux élections régionales, elle-même aurait démissionné de son poste de secrétaire générale de l’Union des femmes réunionnaises (UFR).

Mais Huguette Bello n’avait nul besoin de cette pression, pointant  ce scrutin comme le début de son divorce d’avec le Parti. Paul Vergès, tête de liste, avait placé Catherine Gaud, une métropolitaine, médecin spécialiste du sida, en seconde position. Une « volonté de s’ouvrir à la société civile », justifie Élie Hoarau, le secrétaire général du PCR. « Elle n’était même pas inscrite sur les listes électorales de La Réunion et venait de l’UMP, n’en revient toujours pas l’ancienne directrice d’école. J’ai été humiliée et méprisée, avec toutes les Réunionnaises que je représentais. »

Voyage en URSS

Un féminisme profondément ancré, qui remonte peut-être à son enfance : une mère soumise, des hommes durs, un quartier pauvre, celui de la Ravine-des-Cabris des années 1950. D’un côté, un grand-père, propriétaire de quelques hectares de canne, membre du « syndicat de droite », la Fédécanne . « Il avait une jambe raide et se comportait mal avec ses ouvriers agricoles, j’étais terrifiée », se souvient l’unique fille de la famille qui compte cinq garçons. De l’autre, une mère qui a « beaucoup souffert de sa dépendance envers son mari », conseiller municipal de Ti’Fred Isautier, sénateur-maire de Saint-Pierre et héritier d’une droite dynastique.

En réaction, l’institutrice adhère au PCR et au Front de la jeunesse autonomiste réunionnaise en 1974, puis, un an plus tard, à l’UFR. À 24 ans, Huguette Bello s’indigne des affiches montrant « une cafrine avec une capeline et un gros ventre », une campagne en faveur de la contraception. Viol, harcèlement sexuel, mais aussi logement, éducation… La militante est de tous les combats et organise des réunions un peu partout dans l’île avec des compagnes de lutte enthousiastes : Isnelle Amelin, Laurence Vergès, Aliette Gauvin, Monique Ah-Sing, Paulette Adois, Graziella Leveneur, Monique Payet, Marylène Berne…

Avec ces deux dernières, Huguette Bello s’envole pour la Tchécoslovaquie, via Madagascar et l’URSS, pour participer au congrès de la Fédération démocratique internationale des femmes. C’est l’époque de la guerre froide et des hésitations autonomistes, voire indépendantistes du PCR. Elle rencontre des Palestiniennes, l’épouse du président Salvador Allende, exécuté au Chili, la première femme cosmonaute soviétique, une Sud-Américaine torturée, la Sud-Africaine Dulcie September, qui sera assassinée à Paris…

Le ticket PCR

À cette époque, UFR et PCR marchent main dans la main. « J’ai tenu un paquet de meetings ; on faisait patienter la foule jusqu’à ce que Paul Vergès arrive, relate l’ancienne communiste. Des gens ricanaient ou injuriaient, mais j’ai le souvenir de campagnes joyeuses. » Huguette Bello est élue conseillère régionale en 1982, conseillère municipale un an plus tard à Saint-Pierre, conseillère générale en 1988, toujours sous l’étiquette du PCR. En 1989, elle s’installe dans l’ouest de l’île. Le Parti lui a alors « fait une place » sur la liste de Roland Robert à la mairie de La Possession, rappelle Élie Hoarau.

Ce « long contrat de confiance »  connaît une anicroche lorsque la direction impose la tenue d’une manif pour la libération de Nelson Mandela au Port, bastion communiste, alors que les femmes souhaitaient l’organiser à Saint-Denis. « En ce temps-là, on obéissait », glisse avec réticence celle qui prend la présidence du mouvement féministe tout en entrant au comité central du PCR. Il faut dire que le parti lui « offre » son premier mandat d’envergure : en 1997, Huguette Bello devient la première femme députée de La Réunion, aux côtés de Claude et Élie Hoarau. Les trois parlementaires reçoivent « les directives du parti » lorsqu’ils bataillent pour l’égalité du RMI ou la commémoration de l’abolition de l’esclavage.

En 2001, Huguette Bello échoue aux municipales de Saint-Paul, la faute selon elle à « une liste mangé cochon » (fourre-tout, en créole) concoctée par le PCR, incluant, à droite, Sandra Sinimalé, fille du précédent maire. Trois ans plus tard,  la députée se voit préférer Catherine Gaud à la seconde place de la liste Vergès aux régionales et prend désormais ses distances. « À partir de là, je n’ai plus jamais parlé les yeux dans les yeux avec Paul Verges », lance-t-elle froidement.

Siphonage du parti

BELLO-Huguette-129.jpgHuguette Bello ne va toutefois pas jusqu’à la rupture, pensant à son objectif saint-paulois. Elle a encore besoin de l’appareil communiste, comme le soutient Élie Hoarau : « Ce serait faire injure au travail du parti et des militants de dire qu’elle l’a emporté sur son nom. » Pour autant, c’est souvent seule qu’Huguette Bello, infatigable, enchaîne les porte-à-porte pour arracher la mairie en 2008. « J’assurais quatorze prises de parole de cinq minutes par jour quartier après quartier, détaille l’élue. Les sceptiques pensaient que je parlais aux champs de canne et aux toits en tôle… »  Durant la campagne, elle est secondée par Emmanuel Séraphin, aujourd’hui adjoint à la mairie. « On a quadrillé le terrain, réorganisé les sections, revu le rôle des militants. Un travail fastidieux qui a porté ses fruits », indique le fidèle.

Commence le siphonage des forces vives du PCR, d’autant plus aisé qu’Huguette Bello a le vent en poupe, face à un Paul Vergès vieillissant et refusant de renouveler la direction du parti. Plusieurs membres du comité central du PCR la suivent et comptent aujourd’hui parmi ses plus proches collaborateurs. Côté administratif,  elle a aussi de précieux atouts : le directeur général des services de la commune, Alain Payet, est un ancien élu du PCR à Sainte-Suzanne et a travaillé dix ans avec Jean-Yves Langenier au Port ; ce dernier, actuel président du TCO, doit même accepter la présence d’Emmanuel Séraphin, directeur de cabinet de la communauté de communes, placé avant le schisme…

Ayant consolidé ses positions, Huguette Bello a de plus en plus de mal à cacher son opposition. Elle s’interroge sur le bien-fondé de la Maison des civilisations, un musée que tenait à ériger Paul Vergès. En 2010, lorsque celui-ci se représente, en vain, aux régionales, elle n’appelle pas à voter pour lui. Aux cantonales de 2011, elle dénonce la majorité de bric et de broc du Département (droite sociale, socialistes et communistes). En février dernier, elle ressort l’argument féministe en assurant que la candidature communiste de Maurice Gironcel contre la maire sortante, Yolande Pausé, s’assimile à de la violence contre les femmes…

« Je ne le respecte plus »

Face à ces piques, le PCR se tait. « On a certainement fait preuve de trop de mansuétude devant ces agressions répétées », juge aujourd’hui Élie Hoarau. Aveuglé, dépassé le parti ? Ou impuissant ? Toujours est-il que les communistes prennent le risque de demander à Huguette Bello, publiquement cette fois, de se présenter, lors des législatives de juin, non pas dans sa circonscription, la deuxième, mais dans la septième, qui comprend une partie de Saint-Paul. « Seule Huguette Bello était capable de battre Thierry Robert (Modem) là-bas, explique Élie Hoarau. Si elle avait accepté,  nous aurions compté deux députés communistes. » Et de citer le précédent des législatives de 1997 : «On a demandé à Claude Hoarau, alors député sortant de Saint-Paul, de partir et de se présenter dans la cinquième circonscription, pour battre Jean-Paul Virapoullé. Au nom de la discipline et de la stratégie du parti, il a accepté. On a positionné Huguette Bello à sa place et nous avons gagné les deux sièges ! »

Mais cette fois, la députée sortante refuse la proposition visant à l’ « écraser » et la dénonce ouvertement. « Ils pensaient que j’avais du sang de tortue, s’indigne-t-elle. Ils auraient fait semblant de me soutenir pour m’éliminer. » En juin, le PCR  finit par la mettre « en-dehors de l’organisation » et lui oppose lors des élections législatives son propre candidat, Jean-Yves Langenier. Résultat : la Bérézina. Les communistes n’ont aucun député et la députée-maire triomphe, à la tête d’un nouveau parti qui risque bien, à terme, d’achever le PCR.

Aujourd’hui, Paul Vergès, 87 ans, assure que « ce n’est pas dramatique » ; Huguette Bello, elle, se lâche, tuant le père. « Il a mené de beaux combats, avec les anticolonialistes, les planteurs, les travailleurs. Mais au final, il a mis le parti au service d’un clan et d’une famille, en prenant les gens de haut. Je n’ai plus aucun respect pour lui. » Un « immense gâchis », comme le reconnaissent, cette fois d’accord, les militants désemparés des deux camps.

Laurent DECLOITRE

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